Chirurgie hépato-biliaire de l’enfant : « On en fait tous les jours sans le savoir »

Chirurgie hépato-biliaire de l'enfant : « On en fait tous les jours sans le savoir »

Entretien avec le Pr Guérin, chirurgien pédiatre et vice-président d’ACHILE, à l’approche du séminaire HEPATOPED.

Trente ans. Cest le temps qui sest écoulé depuis le dernier séminaire francophone entièrement consacré à la chirurgie hépato-biliaire de lenfant.

Du 7 au 8 décembre se tiendra le séminaire HEPATOPED, organisé par la Société Française de Chirurgie Pédiatrique (SFCP), sur le thème de la chirurgie hépato-biliaire de lenfant. ACHILE aura le plaisir d’y participer.

Le Pr Guérin, chirurgien pédiatre viscéral à l’hôpital Bicêtre et vice-président d’ACHILE, revient sur cette discipline redoutée à tort, qui concerne pourtant tous les chirurgiens pédiatres dans leur pratique quotidienne.

Pourquoi la chirurgie hépato-biliaire de lenfant est-elle si rarement abordée dans les séminaires ?

C’est paradoxal : cette chirurgie est perçue comme hyper-spécialisée, alors que tout chirurgien pédiatre y est confronté régulièrement. Calculs, malformations, maladies congénitales du foie… chaque praticien doit s’acculturer à cette discipline.

Le foie est un organe particulier – d’ailleurs, dans de nombreuses langues comme l’arabe ou le mandarin, pour parler à un être aimé on dira non pas « mon petit coeur » mais « mon petit foie », preuve du caractère essentiel de cet organe.

Son impact sur tout l’organisme génère une certaine appréhension. Notre objectif avec HEPATOPED est de faire le pont entre chirurgiens généralistes et hyper-spécialisés, pour réduire cette appréhension.

Quelles sont les principales facettes de la chirurgie hépato-biliaire ?

Elle couvre trois grands domaines : le foie, les voies biliaires et les vaisseaux.

Le parenchyme hépatique peut être atteint lors de traumatismes – accidents de la route par exemple –, par des tumeurs ou des infections comme les abcès.

Les voies biliaires peuvent notamment présenter des malformations congénitales, comme l’atrésie des voies biliaires – une obstruction nécessitant une intervention et pouvant mener à une transplantation. Tout chirurgien pédiatre doit connaître cette maladie. Et puis, il y a également les cas de calculs.

Enfin, les vaisseaux : les professionnels qui pratiquent le diagnostic prénatal ou la néonatologie peuvent rencontrer des malformations vasculaires, comme les angiomes hépatiques. Souvent traités sans opération, ils nécessitent des techniques hyper-spécialisées comme l’embolisation chez le nouveau-né. Je m’occupe aussi des malformations de la veine porte. Le foie a cette particularité d’avoir une double vascularisation, veineuse et artérielle. Les anomalies de la veine porte ont un retentissement sur l’ensemble de l’organisme. On touche presque à la médecine interne.

Tout cela doit être dans la culture du chirurgien pédiatre, qui s’occupe du diagnostic prénatal au suivi à long terme.

On imagine que cette discipline nécessite un plateau technique particulier ?

Absolument. L’interdisciplinarité est constante – c’est d’ailleurs la marque des chirurgiens pédiatres.

Nos collègues hépatologues interviennent en amont et après nos interventions pour les demandes d’avis et nous accompagnent dans la prise en charge. Les radiologues pédiatres spécialisés apportent leur expertise en imagerie, mais aussi leurs compétences techniques en interventionnel : déboucher des conduits, drainer des collections lors de complications post-opératoires, opacifier de minuscules voies biliaires… Lors d’une transplantation, si une suture artérielle n’est pas adaptée, ils peuvent dilater par voie endovasculaire pour éviter de réopérer l’enfant. Ils font des miracles !

Les anesthésistes maitrisent, en plus de l’analgésie, les particularités cliniques, biologiques et hémodynamiques de la chirurgie du foie et anticipent les potentiels problèmes avant, pendant, et après les interventions. Les réanimateurs sont indispensables pour la prise en charge des intoxications, la gestion des hépatites aiguës graves, le timing des greffes, et la surveillance post-opératoire afin de dépister précocement les complications.

Les anatomopaghologistes, qui sont spécialisés dans l’analyse des lésions du foie, aident à faire le diagnostic des maladies rares et à adapter le traitement.

Il y a peu de centres qui rassemblent toutes ces expertises, qui se font parfois rares.

Nous manquons par exemple de radiologues interventionnels, dont les compétences techniques mettent des années à se construire. En Île-de-France, seules deux centres disposent dun ensemble complet de compétences hépato-biliaires pédiatriques : Bicêtre et Necker.

Enfin, les pédiatres généralistes jouent un rôle clé dans le suivi à long terme. Les enfants opérés en CHU retournent souvent dans leur établissement de proximité, où les praticiens plus généralistes doivent comprendre les tenants et aboutissants de traitements complexes.

Les avancées technologiques transforment-elles cette discipline ?

Nous sommes très dépendants de l’évolution technique. J’ai pour habitude de la comparer à la Google Car : on suit les évolutions parfois même sans certitude absolue de leur bénéfice, mais avec la conviction qu’elles représentent un saut qualitatif. Les avancées sont si rapides qu’il faut essayer de prendre le wagon en marche.

De nombreux aspects de la chirurgie hépato-biliaire bénéficient déjà des avancées technologiques.

La reconstruction 3D pour la planification opératoire change la donne. Le foie est divisé comme une carte géographique avec des frontières à respecter. Cette planification en 3D aide le chirurgien à respecter ces frontières. À l’avenir, on pourra probablement superposer les images scanner avec l’organe – comme des yeux à rayons X pour respecter les structures vitales.

Les techniques opératoires progressent également rapidement avec de plus en plus de techniques mini-invasives. On manipule à distance un robot, ce qui nous apporte plus de confort et une meilleure vision. Le patient en bénéficie également : moins de cicatrices, moins de douleurs.

Enfin, l’intelligence artificielle va révolutionner la prédiction des complications. On pourra par exemple détecter précocement les fuites de bile, le rejet de greffe, les infections. On pourra aussi mieux sélectionner les donneurs d’organes.

Faut-il adopter ces technologies avec prudence ?

Oui. Il y a un paradigme – que je partage – selon lequel les avancées technologiques dépassent le rationnel humain car elles suscitent l’engouement. Souvent, quand les études prouvent l’utilité d’une technique, la majorité des chirurgiens l’ont déjà adoptée. Il faut s’approprier ces avancées, mais toujours avec prudence et sécurité. En tant qu’acteurs de soins, on voit beaucoup de potentiel dans ces avancées.

Parlons transplantation hépatique. Quelles sont les principales indications chez l’enfant ?

Plusieurs types de maladies la nécessitent.

L’atrésie des voies biliaires représente environ 50 % des transplantations hépatiques pédiatriques. C’est une dégénérescence rapide de l’arbre biliaire : la bile ne peut plus s’évacuer et devient toxique. On opère à la naissance, mais un cas sur deux aboutit à une transplantation à long terme.

Il y a aussi les hépatites – inflammations massives auto immunes ou suite à des intoxications médicamenteuses ou aux champignons. Attention aux amanites phalloïdes : même une demi-assiette peut conduire à une greffe en urgence chez un jeune enfant.

Enfin, certaines tumeurs du foie et maladies métaboliques peuvent aussi mener à la transplantation.

Combien de transplantations réalise-t-on chaque année ?

Environ 90 par an en France, dont un tiers environ au CHU de Bicêtre. Nous avons de bons résultats, malgré un taux de mortalité proche de 10 %. L’enjeu majeur reste le suivi et la qualité de vie à long terme.

La France a été pionnière pour favoriser le partage de greffons : avec un donneur adulte en mort encéphalique, on peut greffer deux personnes en proposant la partie gauche du foie à une équipe pédiatrique.

Initialement limitée aux donneurs de 18-30 ans, cette règle doit évoluer avec le vieillissement de la population. Entre 30 et 40 ans voire 50, d’excellents greffons sont disponibles, et les équipes adultes travaillent avec nous pour étendre progressivement ce partage.

Grâce à notre système de dons qui fonctionne bien, il y a très peu de décès d’enfants sur liste d’attente.

Bicêtre a été labellisé « hôpital ambassadeur du don d’organes ». Quel est l’enjeu ?

C’est lié à un enjeu national majeur : 80 % des Français se disent favorables au don d’organes, mais seulement 30 % des donneurs décédés donnent effectivement. Il faut absolument en parler à ses proches pour qu’ils sachent quoi faire le jour où on sera en position de donner. Pour qu’ils aient moins de remords et d’hésitation.

Par la loi, on est considéré comme potentiel donneur sauf inscription au registre du refus. Mais en pratique, chaque équipe respecte l’avis de la famille. Il faut d’ailleurs saluer le travail considérable des équipes coordinatrices de prélèvement. D’où l’importance d’en parler.

Quelles thématiques seront abordées lors du séminaire HEPATOPED ?

Tous les sujets qu’on vient d’évoquer !

L’objectif est de faire le pont entre équipes hyper-spécialisées et plus généralistes, pour que chacun s’approprie cette discipline selon ses compétences et sache quand référer aux équipes hyper-spécialisées.

Car ces compétences ne sont pas que chirurgicales : elles dépendent aussi des hépatologues, radiologues, réanimateurs et anesthésistes disponibles.

On abordera infections, tumeurs, voies biliaires, en insistant sur les sujets généralistes. On parlera aussi des aspects hyper-spécialisés – maladies vasculaires complexes, transplantation – pour que chacun reconnaisse ses compétences et ses limites.

Ce séminaire se veut intergénérationnel. Pourquoi ?

Pour créer des liens entre experts et jeunes chirurgiens, et dédramatiser la discipline. Comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, on fait de l’hépato-biliaire tous les jours ! Une simple cholécystectomie nécessite de connaître l’anatomie et les variations des voies biliaires.

On va insister sur des sujets qui concernent les jeunes : ce sont eux qui font les ablations de vésicule biliaire et traitent les calculs. L’idée, c’est de montrer qu’on est une seule et même société de chirurgiens pédiatres, avec des compétences différenciées. Il faut lever les barrières – intergénérationnelles et entre spécialités.

Pourquoi c’est important qu’ACHILE soit présent pendant ce séminaire ?

ACHILE est le bienvenu sur ce séminaire et a toute sa place. Des chirurgiens de toute la France impliqués dans des dispositifs spécifiques régionaux (DSR) seront présents. L’occasion d’échanger sur le travail en réseau.

En hépato-biliaire, les réseaux informels entre CHU hyper-spécialisés et centres moins spécialisés existent depuis longtemps. Cela peut servir de modèle pour les DSR. On se réjouit aussi qu’ACHILE participe aux événements festifs, pour montrer que les DSR font pleinement partie de notre société.

Enfin, c’est aussi l’occasion pour ACHILE de se faire connaître auprès des chirurgiens pédiatres et de créer des connexions durables, essentielles au développement du réseau.